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L’enfant cachée dans l’encrier

L’enfant cachée dans l’encrier
"L’enfant cachée dans l’encrier" de Joël Jouanneau, texte fort et émouvant, vient d’être mis en scène par son auteur au Théâtre des Abbesses à Paris. Seul sur le plateau, Dominique Richard donne vie aux paroles de Ellj. Pour ceux qui n’auront pas le plaisir de voir le spectacle, le texte est là pour susciter une envie de théâtre et de poésie, à quoi conduisent aussi quelques pistes pédagogiques proposées en pièce jointe.

L’enfant cachée dans l’encrier est une suite de vingt-quatre séquences, suite musicale où la langue chante comme elle le fait rarement, les enfants le reconnaitront. La langue chante, et le temps s’y perd, par le fait d’un calendrier merveilleux qui plonge le lecteur et le spectateur dans l’univers non moins merveilleux mais aussi inquiétant de l’enfant narrateur. Ellj, l’enfant narrateur, est chez son père qu’il n’a jamais vu, à Pré-en-Pail. Il s’ennuie dans le château ; un unique adulte veille sur lui, Basile le vieux domestique, qui lui met entre les mains un dictionnaire dont les définitions ne conviennent pas au petit garçon. Cherchant à se distraire, le garçon cueille dans le grenier les objets de sa distraction, mais le grand ennui est là : "je commencer de m’ennuire ici". Déjà, au jour premier de son arrivée, le garçon témoigne de sa désinvolture extrême dans le maniement de la langue, qui fera entre autres la beauté de ce texte. Le garçon peut faire entendre : "je lui servir à quoi je viendre si je le voir jamais ?". Aux paroles syntaxiquement exactes de Basile et peut-être du Père, s’opposerait le chant des mots autrement énoncés par le fils : absence de conjugaison (il être si dur), invention d’infinitif (s’ennuire), belles torsions et inventions, notamment celles des mois et des jours qui n’ont plus d’autre sens que le fil d’un calendrier déroulé sans ancrage paternel : Octembre, Froidrier et Jerkredi jouent dans cette partie linguistiquement incorrecte (les mots-valises le sont-ils ?) et si poétiquement efficace, à laquelle s’associe une arithmétique calendaire de la plus haute fantaisie (Hardi 8+3 Septrier). S’insurgeant face à l’absence du Père, ce grand amiral à l’œil noir, Ellj fait subir à la langue un traitement par lequel il la fait sienne. Jusqu’au moment où une voix sort de l’encrier, celle d’une "si trop belle petite fille", sa sœur jumelle, Annj, qui va devenir compagne de son immense solitude. Commence alors une errance verbale imaginaire où surviennent d’étranges individus comme l’Ardoizoo ou le Toulmonde.

Dans cette nouvelle mise en scène, le faible éclairage du grenier où s’éparpillent les objets de l’enfance accentue la présence mystérieuse de l’acteur-narrateur, dont on ne sait plus s’il est l’enfant devenu adulte perdu dans son souvenir, ou l’enfant incarné dans le comédien qui s’est emparé de ses mots. Il peut être difficile de faire apprécier aux enfants, conformistes dans leurs certitudes syntaxiques, la beauté des pseudo-incorrections du texte. C’est pourquoi, si l’on ne dispose que du texte, la voix haute doit être privilégiée. Au théâtre, le jeune spectateur, comme l’adulte, se laissera envoûter par la musique des paroles et transporter par les déambulations scéniques qui en sont le reflet.

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